Kit #1 : "Passion / Topia"

[ Les photos de l' "installation" sont de Sarah Preston ]

 

Le discours n'est pas mon fort, alors je pérore laborieusement, mais s'il faut expliquer, voilà :

cette série de coussins fait suite à une première illustration du thème de la Passion (le Chemin de croix catholique).

 

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Je l'ai reprise en y mélant des éléments de la culture musulmane (ou plutôt mozarabe et telle que je la mé-connais) pour tenter d'interroger la question de la laïcité, aujourd'hui brandie, il me semble, comme une injonction.

 

Un débat s'était engagé sur ces questions. A partir du livre de Pierre Tévanian, La Haine de la religion, et de la réponse que lui faisait Edwy Plenel... Impossible pour moi de trancher, n'ayant lu aucun des ouvrages mentionnés (le temps qui manque !). Seule la nécessité d'un dialogue sur ces questions m'apparaissait. Et surtout l'echo que ces questions faisaient ré/raisonner en moi qui suis antillaise, colonisée/départementalisée, évangélisée, créolisée, acculturée, etc.

 

Ainsi des identités.

Qu'est-ce qu'on invisibilise quand on enjoint à se conformer ?

Qu'est ce qu'on force au silence et par contrecoup, peut-être, à la violence ?

 

Au départ, la figure "christique" telle que je la représente (mais tel un mécréant térianthrope* et intercesseur) se déploie sur le fond d'un motif emprunté à la mosaïque mozarabe, avec navette de tisserand et sceau de Salomon, motif composé pour l'occasion à partir de sept nuances de vert (cƒ. ce livre que je n'ai hélas pas lu non plus...).

 

J'ai voulu faire "dialoguer" des expressions religieuses, mais de la façon dont ce dialogue ne se fait pas, apparemment, aujourd'hui. Donc, passant de la prière à la guerre, le motif se dénature d'un coussin à l'autre pour finir par évoquer davantage un motif camouflage.

 

* Je me suis amusée à dresser une sorte de catalogue (évidemment non exhaustif) d'illustrations sur ce thème

** Si on aime les histoires on pourra écouter une lecture du Livre des Merveilles ici

 

 

Enfin, pourquoi des coussins ?

L'idée de reprendre mon précédent Chemin de croix du mécréant cette fois au point de croix me semblait une évidence.

 

Ma mère avait était pentionnaire de l' "Ouvroir pour les jeunes filles" à Fort-de-France (Martinique). Joseph Zobel décrit très bien ce qu'était cet établissement dans son livre (que je n'ai une fois de plus pas lu, mais...) Terre des gens sans terre, petite histoire de l'école à la Martinique. La France d' "autrefois" y est là parfaitement illustrée, coloniale et un peu paternaliste, faut-il y rester sourd ?

 

"Destinées à embrasser plus tard les professions d'ouvrières, de bonnes d'enfants, de domestiques, les jeunes filles admises dans cet établissement sont principalement affectées à des travaux d'aiguille, aux soins du ménage, à la cuisine, à la buanderie, au repassage. Une heure seulement le matin et l'après-midi, est consacrée à l'instruction religieuse et à la lecture."

 

L'expérience vécue par ma mère est plus nuancée, mais dire qu'elle y a confectionné son trousseau comme autrefois une jeune fille se devait de le faire serait sans doute idéal et romantique.

 

Ainsi donc, thématique identitaire et religieuse, ce projet me permettait de faire retour sur mon histoire personelle. Parce qu'il y est question de filiation, de lien à préserver. Au point de croix, lentement, patiemment...

 

 

[ Quelques travaux réalisés par ma mère à l'Ouvroir ]

 

 

Mais encore, pourquoi des coussins ?

Silvia Naef y répond mieux que moi dans ce petit livre (que cette fois j'ai lu) Y a t'il une question de l'image en Islam ? (éd. Téraèdre, coll. L'Islam en débats) :

 

"Le lieu où est placée une image ou le support choisi pour cette image la rendent licite ou illicite : ainsi, un hadith rapporte que `Â'isha, la femme préférée du prophète, avait confectionné et suspendu des rideaux en utilisant un tissus sur lequel il y avait des images d'êtres animés. Le prophète, voyant cela, se fâcha ; `Â'icha en fit alors des coussins, ce à quoi le prophète n'eut rien à redire (Bukhârî, titre 77, 91). La préoccupation de ne pas susciter un culte ressort clairement de ce récit : suspendu devant soi, la représentation figurative n'est pas admise ; si elle se trouve en revanche sur le sol, elle peut être tolérée, car on ne pourrait diriger sa prière vers un objet posé par terre."

 

Dans ce projet, c'est aussi parce que je ne suis pas parvenue à comprendre ce que Paul Ricœur entend par "identité narrative" (à l'aide, dès l'introduction à Soi-même comme un autre, c'est quoi l'ipséité ?!), mais que je veux y entendre le besoin de narration, de remémoration, de traditions et d'histoires pour se forger une identité, et que ces coussins invitent à s'asseoir, et à tenter de tisser des liens, des relations et, pour les plus pieux, à la méditation ou à la prière... Mais nul n'y est contraint.